Deux vampires au large

Sophie Breuleux
le 13 mars 2017

Clic ! fit le loquet sous ses minutieuses attentions, une main de velours faisant doucement tourner la poignée. La cabine n’était pas très luxueuse : grande, mais dégarnie, avec ses quelques coffres, son lit, son bureau et sa petite bibliothèque. Le Capitaine dormait à poings fermés. L’ombre sombre de la femme se rendit jusqu’à la forme endormie, et ne sachant point que faire d’autre, le mordit à la gorge.

Il se réveilla à la vue de son sang dégoulinant de ses longues canines, ses cheveux sombres tombant sur son visage comme une façade de ficelles pour chat. L’idée d’étrangler cet étrange démon lui passa par la tête, mais à seconde vue, elle était la plus belle chose qu’il avait jamais vu de sa vie, et qui tue la perfection, lorsqu’elle vous dévisage ? Mais la porte s’ouvrit avec fracas, le ramenant au passage à sa triste réalité. Il ouvrit la bouche pour crier, mais fut réduit au silence par la sensation d’un couteau à sa gorge. Il réussit à tourner la tête, sa gorge gagnant une touche de rouge pour ses efforts, et crut pouvoir discerner un de ses marins à la porte. Il pria que cet homme en soit un vrai, et non pas un de ces couards qui ne cherchent à se prouver que lorsqu’ils n’en ont pas l’occasion.

— Par Dieu, ne portez-vous donc pas de vêtements ? interrogea le mystérieux marin.

Ne levant pas son couteau de la gorge du Capitaine, la femme bougea légèrement pour mieux le dévisager. Elle était presque complètement nue, son corps n’étant couvert que d’une jarretière armée et d’un gant pourpre.

— La nuit est chaude, argumenta-t-elle sans grande conviction.
— La nuit est chaude pour tout le monde, chère, ce n’est pas une excuse valide. Maintenant dites-moi, qu’est-ce qui vous donne le droit de manger le dodu gentilhomme que voilà ?

Le jeune marin sourit, exposant ses propres canines aiguisées, et elle lui rendit son sourire. Le Capitaine se mit à gémir.

— O Dieu notre Père, Créateur du Paradis et de la Terre, aie pitié de nous. O Dieu le Fils, Sauveur de ce monde…

Elle le frappa au visage.

— Comment ton Dieu pourrait-il avoir pitié de toi ? En autant que tu saches, nous sommes ton Dieu.
— Voilà qui est bien dit, rit l'inconnu.

La femme se retourna un brin, flattée, et le Capitaine en profita pour la pousser de toutes ses forces, l’envoyant dans les bras de son compatriote. Sautant par-dessus eux, il s’enfuit par le corridor en criant.

— Mais voyons ! Regardez ce que vous avez fait ! dit l'homme.
— Ce que j’ai fait ! Il aurait été sec comme un croûton si vous ne m’aviez pas interrompue ! Allez. Dépêchons-nous, avant qu’il n’alerte tout l’équipage.

Les corridors sombres étaient vides de tout équipage alors qu’ils s’enfonçaient toujours plus profondément dans les entrailles du navire. Celui-ci était silencieux, comme s’il avait été livré seul à la mer.

— Avez-vous mangé l’entièreté de l'équipage ? Le Capitaine était-il votre dessert ?
— Non. Et vous ?
— Bien sûr que non. Je ne voulais que voler le bateau. J’ai entendu dire que les bons pirates ne mangeaient pas leur équipage.
— Sages conseils.
— Je l’ai cru aussi. Il y a longtemps que je veux un bateau, de partir à l’aventure me démange. Seulement, je finis toujours pas dévorer tout le monde à bord. Je n’ai aucune retenue, rit-il.

Il s'arrêta soudain face à une grande pièce ouverte, remplie de petites couchettes en bois.

— Oh, ce n’est pas bon. Pas bon du tout.
— Comment ?
— Ces portes étaient barrées. Je les avait obstruées par exprès.

Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur.

— Les dortoirs ?
— Oui. Le Capitaine doit avoir réussi à les libérer. Voilà qui est très fâcheux.
— Il s’agit d’un vaisseau de l’armée.
— Oui, et très bien armé, aussi. C’est une des raisons pour laquelle je l’avais choisi. Très, très fâcheux. Il nous faut sauter à l’eau. Le plus vite sera le mieux.
— Comment ? Vous songez à fuir ?
— Pourquoi rester ? Il y a beaucoup de bateaux à la mer. Sautons et nageons jusqu’au rivage. Je propose que nous faisions équipe pour quelque temps. Il est toujours très agréable de se retrouver avec un compagnon qui partage nos goûts particuliers. Je vous fournis même un chandail.
— Non.
— Non ? Pourquoi, non ? Que voulez-vous dire par non ? Avez-vous un désir de mourir ? Ils nous dépassent en nombre, et ce considérablement. Avez-vous perdu la tête, en plus de vos vêtements ?
— Non, mais je ne pars pas sans avoir récupéré ce pour quoi je suis venue. Nous devons retourner à la cabine du Capitaine.
— Oh. Oh !

Son excitation monta à mesure qu’ils rebroussaient chemin vers la cabine du Capitaine.

— Qu’est-ce que c’est ? Une amulette ? Une potion ? Oh, c’est pas de l’or, j’espère ? Je n’aime pas l’or. Ça ne va pas avec mon teint.
— Ce n’est pas de l’or.
— Excellent. Je suis toujours partant pour un peu de mystère.

Elle s’arrêta net.

— Attendez. J’entends bouger.

Une porte s’ouvrit soudainement à leur gauche et une douzaine de marins en jaillirent, menés par un Capitaine toujours tremblant.

— Je m’en occupe, confia la vampire à son compagnon. Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit…

Les assaillants s’arrêtèrent l’espace d’une seconde, puis se lancèrent à leur poursuite en criant encore plus fort.

— Zut, ça marche, normalement…

Courant à toute vitesse, ils se cachèrent dans une minuscule pièce, refermant la porte derrière eux.

— Vous êtes sûre de votre plan, là ? Parce que de sauter à l’eau me semble une excellente idée en ce moment.
— Je croyais que vous recherchiez l’aventure ?
— L’aventure, oui, pas le danger qui va avec.

Les marins semblaient être sur le point de défoncer la porte. Sortant son couteau favori de sa jarretière, elle lui offrit un pistolet.

— Merci, mais j’opterais plutôt pour la fuite, nous sommes au-dessus d’une jolie trappe, ici.
— Une trappe ? Oh, mais ça facilite grandement les choses !

Elle l’ouvrit et débarra brusquement la porte, envoyant valser leurs quatres premiers assaillants à travers la trappe. Pistolant et égorgeant les hommes restants, ils arrivèrent à s’échapper, ne laissant qu’un tas de pulpe gémissante derrière eux. Bien vite, ils arrivèrent à la cabine du Capitaine.

— Et qu’est-ce qu’on cherche ?
— Un manuscrit.
— C’est vague comme réponse.

Elle commença à fouiller les coffres dès la fin de son survol rapide du contenu de la bibliothèque, qui fut aussitôt renversée par le vampire.

— Est-ce ceci ?

Il sortit un vieux manuscrit de l’intérieur de la bibliothèque, déchiré et malmené par l’air salin de la mer.

— Oui ! C’est lui, répondit-elle avec révérence.
— Et qu’est-ce ?
— Les mémoires perdus de Lord Byron.

La réponse lui fit froncer les sourcils :

— Je m’attendais à quelque chose de légèrement plus excitant.
— Plus excitant ? Qu’est-ce qu’on peut retirer de plus de l’éternité que de lire tous les livres à notre portée ? Il s’agit de la seule et unique copie des mémoires de Lord Byron. C’est un objet d’une valeur infinie que vous avez dans les mains.
— J’aimerais mieux explorer des contrées inconnues, goûter l’inattendu- j’ai entendu dire que les indiens avaient un goût très épicé.
— Qu’est-ce qui nous empêche de faire les deux ?

Il reluqua d’un œil méfiant le vieux tas de papiers au creux de ses mains.

— Eh bien, je n’ai pas très envie de lire ce machin…
— Je veux dire, partons également à l’aventure.
— Il ne reste pas grand équipage.
— Ils y arriveront, avec une sainte dose d’éléments motivateurs.
— Où allons-nous, alors ?
— Les Indes, pourquoi pas. Il faut tester votre théorie.
— Mais les Indes sont également chaudes. Vous me ferez plaisir, et vous porterez un chandail, rendu là ? On est des vampires après tout, il faut qu'on ait de la classe.

Elle considèra la question.

— Non.


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