L'évangile selon Dieu

Olivier Breuleux
le 27 mars 2016

Mardi le 4 mai 3912 après la Genèse, au Paradis

Cher Journal,

Ah, ces Romains ! Je tourne le dos pendant quelques petites décennies pour remettre les martiens à leur place, et ces salopards en profitent pour conquérir toute la Méditerranée. Et que vois-je ? Ils ont pris Jérusalem ! Mon peuple élu !

C'est très embêtant.

Je vais peut-être devoir faire une autre purge.

Jeudi le 17 juin 3912

Hier soir, je me faisais une ligne avec mon bon copain Lucy, roi de l'Enfer, et je lui ai parlé de ma frustration avec les Romains. Ils m'énervent trop. Enlever Jérusalem c'est une chose, franchement je m'en fous un peu, mais ils ont vraiment beaucoup trop d'homosexuels. Alors je lui ai dit que je pensais refaire le coup du déluge. J'aimais bien le déluge, c'était du propre, quoique je ne sais plus trop ce qui m'avait pris de sauver ce connard de Noé. Enfin, bref, il était pas trop chaud à l'idée.

« Tu sais Yahvé, qu'il m'a dit, c'est bien beau un déluge mais c'est vraiment pas amusant à regarder. Ça tombe, ça tombe, et puis les gens se noient, mais on les voit mal quand ils sont sous l'eau. Tant qu'à tuer ton peuple de merde, là, tu devrais faire quelque chose de spectaculaire. »

Quelque chose de spectaculaire ? Je lui ai demandé ce qu'il entendait par là et il a haussé les épaules. « Je sais pas… je verrais bien quelque chose comme les plaies d'Égypte, ça, ça avait de la gueule, mais c'est toi l'expert. »

À suivre…

Mercredi le 21 juillet 3912

Eureka !

Je viens d'avoir une idée absolument géniale pour finalement régler le problème de ces foutus Romains. Je vais créer un homme. Un nouveau modèle. Une machine à tuer.

J'ai eu l'idée en étudiant leur religion idiote. Ils ont des douzaines de dieux, chacun plus absurde que le précédent. Imaginez, leur dieu en chef fait la cour aux mortelles déguisé en cygne. Un autre a un pénis aussi long que ses jambes. Et la moitié de leur dieux sont des femmes. C'est d'un ridicule…

Alors je me suis dit, pourquoi je leur envoierais pas un vrai dieu ? Un dieu qui leur donnerait ce qu'ils méritent : une mort atroce. Un dieu vengeur qui irait de village en village pour les détruire. Avec ça, du spectaculaire, on va pas en manquer.

Oh que j'ai hâte. Yahvé, tu es un génie !

Samedi le 16 octobre 3912

Le projet T-800 (c'est le nom de code pour mon nouveau modèle d'humain) va bon train. J'ai élaboré une liste de tous ses attributs :

J'ai déjà attelé mes esclaves à la tâche d'élaborer les détails de l'implémentation.

Samedi le 13 février 3912

À l'origine, je voulais créer le T-800 déjà dans sa forme parfaite et le parachuter au beau milieu de Jérusalem, nu comme un ver. Mais cela me semble trop compliqué, j'avais oublié à quel point il est difficile d'assembler un être vivant.

À la place j'ai demandé à Gabriel de me trouver une vierge dans laquelle je pourrai mettre ma semence divine, avec un mari bien idiot qui ne se rendra pas compte que le T-800 est bien trop beau pour être son fils.

Mercredi le 20 décembre 3913

Marie et Joseph, les deux zoufs qui incubent mon T-800, se rendent à Bethléem pour… pourquoi ? Pour le recensement ? Mais ce n'est pas nécessaire, ils sont idiots ou quoi ? Elle est enceinte jusqu'aux yeux !

S'ils tuent mon T-800, j'inonde le monde de scorpions.

Lundi le 25 décembre 3913

Le bébé naît, c'est pas trop tôt. Il est parfait. Il est magnifique. J'ai envoyé trois anges faire semblant d'être des rois pour apporter quelques richesses aux parents adoptifs, je ne voudrais pas qu'ils élèvent mon bijou de destruction dans cette pauvreté abjecte.

Mardi le 26 décembre 3913

Jésus !

Ils l'ont appelé Jésus ! Misère ! J'espère qu'ils ne vont pas gâcher la santé mentale de ma machine à tuer avec ce nom de merde.

Dimanche le 15 mai 3918

Les martiens récidivent. Ils ont encore des homosexuels. Est-ce qu'il va falloir que je mette des étiquettes sur chaque trou et ce qui va dedans, ou merde ? Pourquoi est-ce que c'est si difficile de suivre une simple règle ? C'est pas comme si je leur disais de s'aimer les uns les autres, je leur demande quand même pas la lune.

Dimanche le 4 mai 3944

J'en ai finalement terminé avec Mars. Je l'ai complètement détruite : la vie ne pourra plus jamais s'y épanouir.

Ça va me sauver beaucoup de temps.

Bref, dès mon retour j'ai exigé de Gabriel qu'il me donne un rapport sur l'état d'avancement du projet T-800, mais il traîne, il m'évite. J'ai dû coincer la couleuvre sur un petit altocumulus.

— Alors, Gabe, que je je lui dis, il va comment notre Jésus ?
— Il va, il va…
— Juste ça ? Où en est-il ? Est-ce que Rome tient toujours ?
— Euh, oui… oui, Rome tient.
— Mais il avance, quand même, hein ? Il me détruit des petits villages ? Il me recrute une armée de juifs assoiffés de sang ?
— C'est que…
— C'est que quoi ?
— C'est qu'il est pris par son boulot vous voyez.
— Son boulot ? C'est quoi, son boulot, si c'est pas de me mettre Rome à genoux ?
— Il est… euh…

Charpentier. Ma machine à tuer est un charpentier. Il a passé dix-huit ans à fabriquer des toits pour les maisons qu'il aurait dû brûler.

J'ai fourré cet incapable de Gabriel dans un extracteur à jus en attendant de le diluer dans l'océan, maintenant je m'occupe de cette affaire directement.

Samedi le 14 juin 3944

J'ai réfléchi longuement au problème, et je suis convaincu que la raison du pacifisme de Jésus est son manque d'exposition à la crapulerie humaine. Ce Joseph était d'une bonté insupportable et a enseigné à mon pauvre Jésus de chercher tout ce qu'il y a de bien au plus profond de chaque individu.

Cela complique le problème considérablement, mais je ne perds pas espoir. J'ai trouvé le parfait catalyste. Jean le Baptiste, qu'il s'appelle. Il est, je crois, le personnage le plus louche de toute la Judée. Il clame pouvoir pardonner les péchés de quelqu'un et lui donner accès au paradis simplement en l'aspergeant d'eau fraîche. C'est complètement absurde : les péchés ne peuvent jamais être pardonnés.

Au contact de cet abruti, Jésus sombrera sans nul doute dans une sainte colère, qui le poussera à frapper Jean Baptiste. Et dès qu'il aura goûté au plaisir de violenter les scélérats, mon cher Jésus verra la lumière. Il découvrira toute la force avec laquelle je l'ai investi, tout son potentiel pour faire régner l'ordre et la justice.

Lundi le 23 juin 3944

C'est incroyable. Non seulement Jean Baptiste est encore vivant, il a « baptisé » Jésus. Il l'a laissé faire. C'est incroyable.

Et il y a pire ! Jean Baptiste a dit à Jésus qu'il était l'« élu », ce qui est vrai, mais qu'il devait « purifier son âme » dans le désert, un jeûne de quarante jours et quarante nuits.

Samedi le 2 août 3944

J'ai décidé de rendre visite à Jésus dans le désert afin de lui faire entendre raison. Il m'a dit qu'il avait faim, je lui ai répondu que c'était bien évident qu'il avait faim, mais que c'était sa faute, s'il jeûnait comme un con. Et j'ai ajouté, mais tu peux me remercier, parce que tu as le pouvoir de transubstantiation. Vois ces roches, elles pourraient être des pains si tu le voulais.

Imagine les possibilités ! Tu pourrais aussi transformer des pains en roches… et les lancer sur les femmes adultères, par exemple ! C'est juste une idée comme ça.

Il refusa de manger. Alors je l'ai amené en haut d'une falaise et je lui ai demandé s'il me faisait confiance. Il m'a dit que non, ça m'a surpris, je lui ai demandé pourquoi, et il m'a répondu, « car vous êtes le diable ! » Il me prenait pour Lucy ! Je n'ai jamais été aussi humilié de ma vie.

Alors je me suis emporté, je lui ai montré le monde dans toute son horreur, les impies, les femmes, les homosexuels. Je lui ai dit que l'humanité, et Rome en particulier, étaient des abcès qu'il fallait crever, et qu'il était le glaive désigné pour le faire. Qu'il pouvait régner sur l'univers s'il me promettait d'accepter le destin que je lui avais si gentiment tracé.

Il me répondit fermement que seul le diable réglait les problèmes par la violence, mais que lui était une créature de Dieu, et que son objectif ultime était la paix universelle. Quelle idée absurde ! J'ai toujours utilisé la violence pour en arriver à mes fins, et ça a toujours marché à merveille. Ce crétin de Joseph ne lui a certainement jamais lu la Torah.

Vendredi le 12 novembre 3945

J'ai envoyé à Jésus deux de mes agents : le premier est une prostituée, une dévergondée, une aguiche, bref une femme appelée Marie Madeleine. Je l'ai envoyée pour le dégoûter de la gent féminine, ce qui est un pas dans la bonne direction, mais Lucy m'a fait le pari intéressant que Jésus la sauterait à la place.

Bizarrement, nous avons tous les deux perdu.

Mon deuxième agent s'appelle Judas, l'un de mes anges les plus dévoués. Judas a finalement réussi à faire prendre conscience à Jésus de ses pouvoirs, mais la stupidité de son utilisation de ceux-ci dépasse l'entendement :

De l'eau en vin ? Quand je lui ai donné le pouvoir de transubstantiation, c'était pour liquéfier les infidèles, pour changer leur sang en pétrole avant d'y mettre le feu, pas pour changer de l'eau en vin, c'est ridicule.

Et ce n'est pas le pire. Il utilise son contrôle de la pestilence pour guérir des lépreux. Comment peut-il s'imaginer que c'est ce que je veux qu'il fasse ? Je ne les ai pas infectés pour rien, par exemple le dernier qu'il a guéri, il avait mangé du porc. Du porc ! Cet enfoiré va me laisser le monde dans un pire état que celui dans lequel il était né.

Jeudi le 10 mars 3946

Jésus vient de maudir un figuier. Quel imbécile.

Jeudi le 2 février 3947

Je viens de concocter un plan avec Judas, le plan de la dernière chance. Judas va dénoncer Jésus aux autorités, pour que les Romains le crucifient. C'est la méthode d'exécution préférée de ces salauds.

Sûrement cela montrera à Jésus qu'il n'y a pas de justice en ce monde. Peut-être qu'il me maudira, mais au moins cela lui donnera l'énergie de faire son travail.

Vendredi le 7 avril 3947

Il s'est laissé faire.

Non, sans blague. Il s'est laissé faire.

Il a porté la croix lui-même, sans broncher, puis il a volontairement laissé les Romains le clouer dessus. Il a renoncé à sa propre indestructibilité. Cela dépasse l'entendement. À la fin il a osé me dire, « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'il font. »

Ils savent parfaitement ce qu'ils font. C'est l'abruti qui se laisse tuer sans résister qui me fait me poser des questions.

Et j'ai retrouvé Judas, il s'est pendu dans un champ, le pauvre. Il n'aurait pas dû. Rien de cela n'était sa faute.

Dimanche le 9 avril 3947

J'ai décidé de laisser à Jésus une toute dernière chance. J'ai utilisé mes pouvoirs divins afin de le ressusciter. Il a émergé de la tombe dans laquelle on l'avait déposé, habillé de son suaire, hagard. Je lui ai dit : « Jésus, tu as un travail à faire sur cette Terre. Ne me déçois plus. »

Vendredi le 19 mai 3947

Hélas ! Jésus reste aussi incorrigiblement pacifique ! Tout le long de son périple une fois sorti de la tombe, les arbres sont droits et sains, les récoltes sont abondantes, la pêche est bonne, et tous ses disciples l'embrassent et se réjouissent ! Tout le mal des hommes reste impuni. J'aurais mieux fait de leur envoyer la peste.

Je n'en pouvais plus, j'ai amené Jésus en haut pour lui passer un savon.

J'ai demandé à Lucy ce qu'il ferait d'un homme d'une bonté et d'un pacifisme aussi navrants. Il m'a répondu qu'il lui fourrerait des carottes dans le cul jusqu'à ce qu'il le supplie d'arrêter.

Je ne sais trop quoi penser.

Lucy serait-il un homosexuel ?


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