Il était une fois, au café du coin, un homme à la détermination plus grande que le bon sens. Attablé depuis déjà quelques années à la table du fond, il fait maintenant plus ou moins partie des meubles. La légende dit qu’il avait un jour été un homme grandiose, et qu’on peut distinguer sous ses haillons la charpente d’un vieux sage d’une autre époque, occupé à gribouiller de mystérieuses équations sur d’innombrables feuilles de papier. Chaque jour, des gens de tous les horizons accourent pour le rencontrer, pour lui toucher la main, lui demander conseil, ou alors prendre un selfie mal cadré avec lui en arrière plan. Était-il un ancien espion, ou bien l’inventeur secret du premier ordinateur ? Les légendes divergent, mais en fait, comme la plupart des histoires fantastiques, le vrai et le faux se mélangent jusqu’à ne devenir qu’un gros amas de conneries.
L’homme, un certain M. L’Heureux, avait toujours été d’ambition modeste. Il avait été correcteur linguistique trente-huit ans avant d'avoir été rendu obsolète par le logiciel Antidote. Puis, tout seul dans son spacieux une pièce sur Pie-IX, il avait soudainement réalisé que n’ayant rien à perdre, il avait en fait tout à gagner. Et c’est alors que pour la première fois de sa vie, il visa grand: il allait devenir riche. Il commença par liquider ses actifs, amassant la coquette somme de 123 $.
Il se garda bien sûr de vendre la raison secrète de son épiphanie : un exemplaire de « Comment devenir riche » par Donald Trump trouvé dans les poubelles. Cependant, dans l’excitation du moment, il avait oublié qu’il ne savait pas où aller. Il déambula quelques instants dans les rues glacées de la ville, avant de tomber nez à nez avec son destin : le café 24 heures.
Les toilettes étaient acceptables, la nourriture potable, les tables juste un peu bancales : c’était l’endroit parfait pour planifier son ascension aux plus hautes sphères de la société. Il décida de cataloguer ses actifs :
Il se sentait assez optimiste en relisant sa liste. Il s’empara de son actif le plus prometteur, le livre de Trump, et l’ouvrit en toute hâte, prêt à s’abreuver de sa sagesse. Le premier conseil était d’embaucher de brillantes et belles jeunes femmes aux postes de réceptionnistes… ce n’était pas gagné, exploiter les femmes pour leurs atours, ça ne passe que quand on les paie…
L’homme était un peu découragé. L’ouvrage de ce monsieur Trump ne s’avérait pas aussi utile qu’il ne l’avait espéré. Ses conseils n’avaient aucun sens et il ne répondait aucunement à la question « Comment devenir riche ». Mais Trump est milliardaire pourtant : c’est spécifié une bonne centaine de fois dans l’ouvrage. S’il affirme connaître la recette de la richesse, c’est qu’il doit la connaître, il ne serait pas lui-même riche sinon. « Cela n’a aucun sens », se désola l’homme. Il devait passer à côté d’une information clé, un message caché dans l’œuvre du milliardaire. On ne pourrait pas publier un ramassis de mensonges si éhon… oh, mais bien sûr.
Ça le frappa de plein fouet. Il en tomba presque de sa chaise. Le message caché. Si simple et si compliqué à la fois. La raison pour laquelle le livre ne tenait pas debout : il n’était en fait qu’une façade, une allégorie que seul les plus fins lecteurs pouvaient décoder : comment devenir riche ? Mentir. Le secret de la richesse est le mensonge. Qu’est-ce que ce monsieur Trump est intelligent.
Cette réalisation lui donna un moment d’euphorie plus puissant que toutes les drogues connues et il s’accorda une petite pause bien méritée. Le café était tranquille, des gens conversaient, étudiaient, et s’il se concentrait, il arrivait à discerner le doux fumet du café par-dessus sa propre odeur de ranci. Il est important de mentionner qu’il n’avait pas quitté le café depuis dix-huit jours.
Il bénéficiait de la clémence du gérant du café, un jeune homme hip qui avait jugé qu’en plus de ne pas faire de grabuge, le vieil homme attirait presque la clientèle. Il avait pu jouir d’une hausse de mentions sociales de son café de plus de 43% depuis son arrivée. Il avait tenter d’y associer un hashtag, « #thatcoffeeguy », avec un succès, il faut avouer, assez médiocre. De ce fait, il tolère sa présence continue, et lui offre d’occasionnelles viennoiseries invendues.
Monsieur L’Heureux eut un moment d’incertitude. Il avait découvert la recette de la richesse, le mensonge, mais encore fallait-il mentir de la bonne manière. Il avait menti sur sa grandeur toute sa vie et il ne s’en était pas enrichi pour autant. Quelques recherches effectuées sur un ordinateur emprunté lui inspirèrent quelques pistes, mais toutes ces recherches prenaient un temps fou, et à ce rythme là, il mourrait bien avant de devenir millionnaire.
Il commençait à se dire que finalement, la malhonnêteté ne payait peut-être pas. Le gérant, quant à lui, avait raffiné sa stratégie et avait commencé la construction d’un narratif élaboré autour de son mystérieux client. Il lançait des rumeurs à gauche et à droite, écrivait de fausses critiques sur Yelp, Facebook et tout le tralala, appelait les journalistes et blogueurs de ce monde – en somme, il faisait tout pour assurer le succès de son café. Tout sauf repenser la recette de son immonde gruau, nettoyer ses toilettes, ou payer ces ingrats d’employés plus que le minimum qu’ils méritent.
Monsieur L’Heureux fit fait part de son problème au gérant, qui resta silencieux quelques secondes, puis lui assura qu’il se pencherait sur son problème. Il revint quelques heures plus tard avec un air déterminé que l’homme trouva des plus inspirants. Le gérant lui montra une formule mathématique sur la proportion optimale de grains de café par tasse, qu’il désespérait de résoudre. Il était prêt à offrir un million de dollars pour la réponse. Monsieur l’Heureux fut très étonné par l’offre. Il ne connaissait pas bien les mathématiques, mais il se dit que, logiquement, il lui faudrait moins de vingt cinq ans pour résoudre le problème, surtout que le gérant lui fournissait des ouvrages de références. « Qu’ils essaient de me remplacer par un logiciel, maintenant ! » pensa fougueusement M. L’Heureux.
Les gens devaient avoir eu vent de l’affaire, car de plus en plus de clients se pressaient au café. Quelques uns l’encourageaient, et le remerciaient de ses bons investissements, et il se dit que la formulation laissait à désirer, mais qu’en effet il s’agissait d’un bon investissement de son temps. Il avait même entendu le gérant confier à un homme d’apparence très cossue qu’il était un génie et qu’il ne pouvait pas échouer, et il avait été flatté.
Un jour, le gérant arrêta de venir au café, et il fut remplacé par un autre jeune homme hip. Monsieur L’Heureux se dit qu’il devait être parti en vacances, il avait eu l’air très agité ces derniers jours. Il continua son travail, un bon petit chocolat chaud extra crème fouettée à la main, un crayon à l’autre. Il s’imagina aller vivre dans un pays chaud, une fois son million gagné. Les Seychelles, peut-être ? Une toute petite île, juste à lui.
On lui posa aussi beaucoup de questions sur un certain Ponzi, qui aurait un système quelconque. Mais il les rassure : il n’a pas besoin d’un stratagème, il peut le résoudre lui-même, le problème. Et tout ça honnêtement ! Dans les dents, monsieur Trump.