Priape et Crepitus à l'Olympe

Olivier Breuleux
le 17 juillet 2016

C‘est avec une certaine nervosité que Crepitus frappa à la porte de la petite masure dans la vallée. Elle était entourée de grands arbres centenaires et de fougères folles, et des vignes s'accrochaient fermement à ses murs pour ne pas ployer sous le poids de leurs fruits. Crepitus ne l'aurait probablement jamais trouvée si ce n'eut été de la colonne de fumée qui s'échappait de la cheminée, si épaisse qu'on aurait pu la voir de l'Olympe.

Crepitus ne pouvait rien entendre d'autre que le chant des cigales et ne pouvait voir que le mouvement de quelques ombres à l'intérieur à la lumière du crépuscule. Mais lorsque la porte du cabanon s'ouvrit, il fut ébloui par la lumière de mille chandelles, il entendit la musique mélodieuse de la flûte de Pan, les rires des bacchantes dansantes, et la voix joviale et puissante de son père, Bacchus, dieu du vin, du théâtre, et de la folie.

Le satyre à la longue barbe pointue qui lui ouvrit la porte le toisa curieusement pendant un instant. Crepitus leva un doigt et de l'air s'échappa du postérieur du satyre, avec un son retentissant et une odeur fétide. Le satyre sursauta, renifla, et son visage se fendit d'un large sourire.

— Crepitus est arrivé ! cria-t-il, et il l'invita à entrer.

L'intérieur de la maison était plus grand que son extérieur. Une bacchante, cheveux dressés en crête et vêtue de la peau d'un tigre qui couvrait l'entièreté de son corps sauf ses seins, le prit par le bras pour l'entraîner dans une valse. Mais Bacchus le prit par l'autre bras et le tira vers lui avec plus de force encore. Il lui donna une grande tape dans le dos et Crepitus se retrouva assis à la table d'honneur, d'où son père présidait aux ivresses et excès de la bacchanale.

À la droite de Bacchus se trouvaient Silenus, son mentor, ancien comme le monde et capable de prophétie lorsque son sang se trouvait dilué à parts égales avec du vin; Pan, le joyeux satyre qui ne parlait qu'en chansons, et Mellona, une petite femme rondelette au visage couvert d'un léger duvet qui riait sans cesse et se soulait à l'hydromel qui coulait de ses tétons. À sa gauche se trouvaient Priape, dont le sexe immense faisait vibrer la table lorsqu'il bougeait, Cloacina, régente des égouts de Rome, et finalement Crepitus, fils cadet de Bacchus.

La réunion commença par quelques plaisanteries douteuses et des félicitations sur la qualité du vin qui selon Priape était bien supérieur à la piquette de l'année précédente, mais comme toutes discussions entre dieux elle vira rapidement à la fanfaronnerie.

— Regardez-les, dit Bacchus fièrement, pointant de son thyrse la douzaine de jeunes hommes et jeunes femmes ivres dansant à la folie autour d'eux, échevelés, en couples et en triplets virevoltants. Croiriez-vous que la vie puisse valoir la peine d'être vécue autrement ? Vous auriez tort ! Les morts ne bougent pas, les morts ne boivent pas, par conséquent, qui ne boit pas, qui ne bouge pas, ne peut être que mort. En inventant la danse et le vin, j'ai également inventé la vie.
— À la danse !
— Au vin !

Ils vidèrent tous leurs verres et Mellona leur versa de nouvelles rasades. Priape, qui ne voulait pas être en reste, prit la parole :

— Voilà qui est très bien dit, mon père, et si une place de choix ne vous est pas déjà réservée à l'Olympe c'est ma foi une grande injustice. Mais qu'est-ce que la vie si elle ne fructifie point ? Voyez ces deux heureuses gens, ajouta-t-il en pointant du doigt la femme à la crête et à la robe tigrée qu'un homme sculptural prenait joyeusement par derrière à côté du foyer ronflant. Sans la semence vitale de cet homme, l'humanité s'éteindrait. Et donc voilà le plus grand trésor de l'humanité : le pénis !

Sur ce Priape déposa son énorme organe sur la table. Silenus fut stupéfait, car il voyait double, Mellona contempla l'engin avec admiration, tandis que Cloacina, qui avait une grande connaissance des tunnels de toutes sortes, semblait se dire que pour engendrer, encore fallait-il pouvoir pénétrer.

— Au pénis ! dit finalement Pan, levant son verre si brusquement qu'il en renversa la moitié.

Crepitus, de son côté, était fichtrement impressionné par ces faits d'armes et réfléchissait frénétiquement à sa propre allocution. Entouré de ces personnages légendaires, il ne voulait pas passer pour un moins que rien. Il s'éclaircit la gorge.

— Mais qu'est-ce que la vie sans la sensation de sa propre existence ? Quand les nymphes sont absorbées dans le glougloutement des ruisseaux, lorsque le fermier épuisé rêvasse sur son lit, et à ce moment même où l'amoureux se perd dans le doux regard de son âme sœur et que toutes ces belles gens oublient leur propre physicalité, qu'y a-t-il pour le leur rappeler ? Leurs propres émanations malodorantes, bien sûr, le pet, crepitus ventris ! Et quoi de mieux pour ramener les têtes enflées à la terre ferme ? Hier Jules César donnait pompeusement des ordres à ses centurions, mais sa superbe n'a pas duré, affligé comme il le fut soudainement par les tonitruantes exhalations de ses intestins !

Cloacina roula des yeux mais le reste de la tablée s'esclaffa. Pan se roula par terre, Bacchus manqua son souffle, et la pièce vibra du rire bourdonnant de Mellona. Pour l'une des seules fois de son existence Crepitus sentit en son cœur la douce chaleur de l'acceptation de ses pairs. Pan leva son verre encore.

— Au pet !

Ils trinquèrent, et trinquèrent, et trinquèrent.

Alors que les rayons de l'aube pénétraient paresseusement dans la masure et que la fête s'étiolait, Priape demanda à Bacchus s'ils pouvaient parler seul à seul. Bacchus se leva alors de son siège. Il avait l'équilibre précaire et son haleine aurait pu soûler un bœuf. « La fête est finie, tonna-t-il. Partez ! Partez tous ! »

Les bacchants se réveillèrent soudain de leurs torpeurs érotiques et déguerpirent en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Cloacina et Mellona étaient déjà parties sans que personne ne s'en soit aperçu. Crepitus se leva également, confus, mais Priape le retint. « Non, reste ici, mon frère. » Silenus, de son côté, reposait dans un coma profond, aussi attentif à la situation qu'une grosse roche.

— Qu'il y a-t-il, Priape, dit Bacchus en se versant du vin, mais un peu moins qu'à l'habitude, pour se dessouler.
— J'aimerais discuter de l'indignité que j'ai souffert aux mains de Junon.

Bacchus roula les yeux, il entendait la même rengaine année après année, mais pour Crepitus c'était la première fois.

— Mais de quelle indignité parles-tu ?
— Ah ! Mon cher Crepitus ! Il y a de cela plusieurs années j'ai été banni de l'Olympe, si sévèrement en fait qu'il m'est même interdit de contempler son céleste sommet ! Me demanderas-tu pourquoi ?
— Pourquoi ?
— Je suis content que tu le demandes. Je faisais simplement la cour à une nymphe, qui ne pouvait détacher ses yeux de mon ample organe…
— Comme si elle pouvait voir quoi que ce soit d'autre, marmonna Bacchus en tentant de faire sortir une dernière goutte de son amphore.
— …et une chose mena à une autre, naturellement, et alors que la nymphe criait de plaisir…
— De douleur, corrigea Bacchus.
— …de plaisir, la perfide Junon nous surprit. Cette innocente escapade lui sembla être le plus ignoble des viols, et elle m'expulsa ainsi de l'Olympe, sans me donner la peine de m'expliquer, sans juste cause… sans procès !
— Quelle ignominie ! assentit Crepitus.
— Et pour ajouter l'insulte à l'injure, tous les dieux de l'Olympe se rangèrent derrière elle, acceptant la flagrante injustice comme fait accompli.

Priape bouillait de rage. Douze dieux siégeaient à l'Olympe, les dieux des dieux, tout-puissants. Jupiter en était le roi, et Junon était sa femme, la reine des dieux. Les deux se haïssaient, et chacun tentait de surpasser l'autre dans l'exécrabilité de leur caractère et dans la bassesse de leurs actions. Le reste du panthéon était composé de Minerve, Neptune, Mercure, Mars, Vénus, Apollon, Diane, Cérès, Vulcain et finalement Vesta, la sœur aînée de Jupiter.

Douze trônes. Douze oligarques qui, selon Priape, ne méritaient rien de moins que la potence.

— Justice doit être faite, père. Nous ne pouvons pas laisser Junon nous insulter de cette manière.
— J'ai déjà parlé à Minerve, Priape…
— Je sais, je sais. Vous n'avez pas de place à cette table, pas de vote à donner. Mais là est le problème : vous devriez y être. Notre voix doit être entendue. Je demande qu'on obtienne une audience pour ajouter un treizième trône, et…

Bacchus fit la moue.

— Ça ne marche pas comme ça, laissa tomber Bacchus avec un haussement d'épaules.

Priape se renfrogna. Il sembla chercher ses mots, mais ne trouva pas la formule assassine qu'il recherchait.

— Je n'ai plus rien à faire ici. Viens, Crepitus.

Par solidarité, Crepitus sortit à l'extérieur avec son demi-frère pendant que Bacchus ouvrait une nouvelle amphore. Dehors, il faisait frais.

— Notre père est un homme bon. Un homme juste. Mais il n'a pas de couilles, déplora Priape. C'est un fardeau que les gens bons ne veulent que rarement porter.
— Un fardeau ? Quoi, les couilles ?
— Néanmoins… l'Olympe est moisi, pourri de l'intérieur. Il faut absolument faire quelque chose.
— Mais quoi ?

Priape s'approcha de Crepitus et le regarda droit dans les yeux. Sa voix était basse, son ton conspirationnel.

— Puis-je compter sur toi, Crepitus ?
— Toujours.

Priape hocha la tête.

— Repose-toi bien, alors. Car ce soir nous allons infiltrer l'Olympe, et nous allons kidnapper cette salope de Junon.

C'est ainsi que Crepitus et Priape se retrouvèrent à escalader le flanc le plus escarpé du Mont Olympe, que les dieux surveillaient peu. À chaque mètre ou deux ils plantaient un gros clou et nouaient une longue corde qui servirait à leur fuite.

Le roc massif se mua éventuellement en pierres finement taillées, marquant le début de la grande tour ouest au sommet de laquelle Jupiter et Junon pouvaient contempler leur royaume immérité, tous scélérats qu'ils étaient.

Priape et Crepitus s'introduisirent dans la tour par le trou des latrines qui larguait la merde divine sur le reste du monde, un tunnel d'une puanteur irrespirable qui évoquait néanmoins pour Crepitus de douces sensations. Il s'y sentait comme poisson dans l'eau et en émergea ravigoré, contrairement à Priape qui était pris de nausées.

— Alors, demanda Crepitus, où se trouve la chambre de Junon ?

Priape pointa du pouce vers le haut. Ils gravirent un escalier en colimaçon et débouchèrent dans une grande pièce qui, au grand dam de Crepitus, sentait bon la lavande. Personne ne semblait y être à ce moment-là. Il y avait un lit au centre, dont le matelas couvert de draps et d'étoffes rouges et pourpres semblait avoir été bourré du duvet de mille cygnes.

— Regarde toute cette opulence, dit Priape avec envie, ce luxe et ce confort alors même que nous autres dieux mineurs devons nous coucher à la belle étoile ou sur des bottes de foin nauséabond !

Crepitus, qui n'aurait troqué son fumier pour aucune soie parfumée, se contenta de hausser les épaules. Des voix se firent alors entendre, venant du bas de l'escalier.

— Serait-ce Junon ? murmura Crepitus, dont l'excitation monta.
— Junon… et Minerve, répondit Priape avec un accent de panique.

La réputation de Minerve était terrible, et elle n'était pas surfaite. La déesse de la sagesse, du commerce, de la guerre, et Gaia sait quoi d'autre, était née de la tête de Jupiter et en avait gardé toute la puissance – on dit que Jupiter ne s'en était jamais remis. Si elle l'avait voulu, si elle n'avait pas été d'un naturel aussi raisonnable, elle aurait facilement pu assassiner le reste du Panthéon et régner seule sur le monde. L'idée de ravir Junon était déjà assez ambitieuse sans devoir tenir compte de la colère de Minerve. De son côté, Crepitus, dont l'illustre carrière jusqu'ici n'impliquait que de faire péter les gens, ne savait pas vraiment où donner de la tête.

Priape étouffa un juron et empoigna Crepitus par le bras. Ensemble ils se cachèrent derrière un grand rideau rouge, juste au moment où Junon et Minerve émergeaient dans la chambre. La première, vêtue d'une stola bleu marine, avait l'air d'une jouvencelle à côté de la sobre et droite Minerve, et ses traits étaient tordus de rage.

— Tu ne comprends pas la gravité de la situation, pesta Junon.
— Au contraire, je comprends parfaitement.
— Alors tu es d'accord que les Troyens doivent être punis sévèrement.
— Je ne suis pas sûre que…
— C'est bien ce que je dis, tu ne comprends pas. Ils ont décidé d'élever cette cruche d'Aphrodite au statut de reine de la beauté, alors que cette place me revient de droit ! Que dirais-tu si les Athéniens se mettaient à vénérer Bacchus à ta place ?
— Ce serait différent…
— Non ! Au contraire ! C'est la même chose !

Un lourd silence suivit la réplique de Junon, et alors que celle-ci s'apprêtait à reprendre sa tirade indignée, Minerve lui fit signe de se taire.

— Qu'est-ce que c'est ? murmura Junon avec inquiétude.

Crepitus se tourna vers son ami, qui était blanc comme un linge. Lorgnant plus bas il s'aperçut avec horreur que Priape était sous l'emprise d'une gigantesque et importune érection, qui tendait le rideau d'une bonne douzaine de centimètres. Nous sommes faits comme des rats ! se dit-il avec effroi.

C'est alors qu'une idée germa dans son esprit. Il se concentra avec l'énergie du désespoir, invoqua les fragments de l'ancien dieu Chaos qui vivaient et dansaient en lui, et aussitôt le son d'un borborygme retentissant se répercuta à travers la pièce et une odeur atroce s'échappa des fesses de Minerve.

Minerve pâlit aussitôt, comme si toute sa couleur avait été drainée à travers ses boyaux, et Junon et elle furent instantanément prises de hauts-le-cœur. Profitant de la diversion, Crepitus et Priape se précipitèrent vers la sortie.

Ils descendirent l'escalier quatre à quatre, et aussitôt qu'ils furent rendus en bas ils sentirent la tour entière trembler sous les pas furieux de Minerve et Junon qui les suivaient. Ils s'engouffrèrent dans les latrines au moment même où celles-ci arrivaient en bas, livides de colère et de dégoût. Minerve les pointa du doigt et un éclair de lumière en jaillit, mais il se buta à la porte que Priape refermait brusquement derrière lui, manquant de peu de s'écraser le gland.

— Après toi, dit Crepitus en pointant le trou duquel ils étaient venus.

Priape ne se fit pas prier et Crepitus le suivit tout en lâchant le pet le plus nauséabond qu'il eut jamais créé. Il regretta de ne pas pouvoir en sentir les fielleux arômes, mais le strident cri de dépit de Junon enveloppa son cœur comme un baume. L'excitation fut de courte durée, cependant, et alors que les deux partenaires glissaient le long de la corde vers le couvert de la forêt qui garnissait ce bord de l'Olympe ils se demandèrent ce qu'il adviendrait d'eux.

Le torrent de bacchantes qui entouraient Bacchus s'écarta pour les laisser passer. Celui-ci sourit en voyant ses fils, mais son expression surit en voyant leurs visages anxieux.

— Père, dit Priape sans ambages, nous avons un problème.
— Et quoi encore, dit Bacchus irrité. Ne puis-je jamais faire la fête en paix ?

Du revers de la main il intima aux bacchants de se retirer et d'aller à l'extérieur pour se violer les uns les autres, ce qui est leur étrange coutume, mais à sa grande surprise tous avaient déjà déguerpi. À leur place se tenait une mince figure vêtue d'un châle mauve, dont la présence pesait déjà sur tous.

— Vesta.
— Bacchus.

Bacchus avait l'air un peu embarrassé du désordre qui régnait chez lui, du vin qui à force d'être renversé imbibait le sol et le teintait de pourpre, mais il se redressa sur sa chaise et tenta tant bien que mal de se donner l'air qui convenait à une visite aussi distinguée, celle de la déesse de la famille et du foyer.

— Un petit oiseau m'a dit que tes fils ont rendu une petite visite à Junon dans sa tour, dit Vesta.
— Un petit oiseau ? demanda Crepitus innocemment.
— Un petit oiseau très nauséabond.

Crepitus se prit à imaginer un rare volatile puant avant de se rendre compte que Vesta était sarcastique.

— Pouvez-vous me dire ce que vous faisiez là, les garçons ? demanda-t-elle.
— Euh… baragouinèrent à l'unisson Priape et Crepitus.
— Comptiez-vous la violer ?
— Non ! dit Crepitus alors que Priape hésitait un peu.
— La tuer ? Vous savez très bien que c'est impossible. L'enlever, peut-être ? Demander rançon ? Vesta eut un petit rire sec. Vous êtes chanceux d'avoir échoué aussi lamentablement, sinon Minerve aurait probablement insisté pour se charger de vous elle-même… mais je crois que je sais ce qui se trame ici.
— Qu'est-ce qui se trame ? demanda Bacchus plaintivement.
— Je suis au courant de ton ressentiment par rapport à l'Olympe, répondit Vesta en s'asseyant. Toutes les requêtes que tu as faites et qui sont restées lettre morte. On ne te respecte pas beaucoup, n'est-ce pas ?
— Pas trop…
— Cela doit être frustrant, non ?
— Bah ouais, un peu…
— Et c'est pour cela que tu as envoyé tes fils faire ce coup.
— Non… je… je n'étais pas au courant.
— Bien sûr que non, répondit Vesta, sarcastique.

Mais voyant la mine décomposée de Bacchus, elle se ravisa. Ses yeux violets le contemplèrent si intensément qu'on aurait dit qu'elle étudiait son âme.

— Je te crois, dit-elle finalement, et Bacchus souffle de soulagement. Je vois en toi davantage de maturité que je l'avais cru. Peut-être y a-t-il quelque chose à faire avec toi…

Elle se leva de son siège et poursuivit :

— Je n'aime pas voir ma famille si divisée. Je suis prête à te laisser ma place à l'Olympe… je suis un peu fatiguée de toutes les niaiseries qui s'y trament, de toutes façons… mais il y a une condition : tu dois punir tes fils.

Bacchus ouvrit la bouche, mais ne répondit pas.

— Leur intrusion fut bénigne, mais leurs intentions furent sombres et leur comportement indigne. Il est impossible de fermer les yeux sur ceci.
— Q-Quelle sorte de punition ?
— Père ! supplia Priape.
— Je suggèrerais l'exil.

Bacchus resta de longues minutes à contempler le vin dans sa coupe.

— Très bien, dit-il finalement, ses yeux humides fixant encore le vin. Priape, Crepitus, je vous condamne à errer à travers les méandres de la Terre abandonnés par les Hommes et les Dieux, et ce tant et aussi longtemps que le temps se rappellera de vos crimes.

Sur ce Priape et Crepitus quittèrent piteusement la confortable maison de débauche de leur père. Ils jetèrent un dernier coup d'œil à celui-ci, mais son regard restait captivé par le reste de sa boisson cramoisie, et lorsqu'il se décida finalement à l'avaler cul sec, il fermait les yeux.

La masure disparut derrière Priape et Crepitus. Ils étaient au pied d'une montagne inconnue, dans un pays inconnu, à des milliers de lieues de toute autre âme intelligente. Quelques vautours volaient en cercles au-dessus d'eux avec espoir.

— Tant et aussi longtemps que le temps se rappellera de vos crimes ? pesta Priape. Foutre Gaia, qu'est-ce que cela veut dire ?
— Je sais pas, répondit Crepitus. Merde, qui est-ce que je vais bien pouvoir faire péter ? Ces putains de vautours sont trop loin.
— Ne me regarde pas comme ça ! dit Priape.

Crepitus s'assit sur une roche, contemplant une grosse araignée. Son pet ne pua pas bien fort.

— Ils vont bien oublier à un moment donné, dit-il, philosophique.
— Au diable leur oubli ! cria Priape, les yeux luisant d'un éclat maniaque. Ces connards ne sont pas invincibles. Tu l'as prouvé en faisant péter Minerve. Ha ! Quel coup de maître !
— Merci, mais… qu'est-ce que tu veux dire ?
— Il est temps de voir grand !
— Voir… grand ?
— Grand comme l'Olympe !
— Je ne comprends pas.

Priape prit Crepitus par les épaules, fiévreux.

— Nous nous vengerons ! Nous trouverons leurs faiblesses. Et nous les vaincrons. Ils n'oublieront pas. Ils n'oublieront jamais. Mais nous reviendrons quand même. Nous prendrons leurs trônes, et ils s'agenouilleront devant nous pour nous baiser les pieds !

Et c'est ainsi que, la vengeance dans le cœur, Priape et Crepitus commencèrent à sillonner le monde à la recherche du glaive qui leur permettrait de poignarder les dieux. Ils avaient bien le temps : ils étaient éternels, et ils n'avaient rien de mieux à faire.


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