La poule aux œufs de plomb

Sophie Breuleux
le 24 juillet 2016

Les poules pondent des œufs, mais saviez-vous que quelques-unes en pondent en or ? Il s’agit d’une anomalie génétique, un gène récessif qui ne se manifeste que lorsqu’un œuf est fertilisé par un coq à la semence d’or, au cours d’une pluie d’étoiles filantes un soir de pleine lune, et encore faut-il que l’œuf soit mené à terme, car il est très fragile.

Même si la dernière poule aux œufs d’or, Martha (1912-1913), est disparue il y a de cela plus d’un siècle, et que son histoire s’apparente plus à la fable qu’au documentaire, certains fermiers rêveurs continuent de lever les yeux au ciel les soirs de pleine lune, à la recherche d’étoiles filantes, coqs à la semence d’or en main, prêts à fertiliser. Sans grand succès.

Depuis sa tendre enfance, Richard Richardson rêvait du bon matin où il récolterait le fruit de ses fantaisies. Il glisserait sa main sous sa poule et devinerait la douce caresse de l’or au bout de ses doigts, promesse de richesse et de gloire. Vous pouvez donc imaginer sa surprise, lorsqu’il sortit de sous sa poule un œuf de plomb. Le choc passé, il raisonna : ce n’était pas de l’or, mais tout de même, une poule aux œufs de plombs, c’était tout aussi spécial, et plus encore, car ça ne s’était jamais produit avant. Le fermier, soucieux de garder sa bénédiction secrète le temps de formuler un plan d’action, prit sa poule sous son aile, et alla visiter un spécialiste du plomb. Il fit examiner l’œuf et, grâce à Dieu : c’était bel et bien du plomb.

Ces œufs furent une révélation : un goût divin, le Messie revenu sous la forme d’un œuf, l’omelette des Dieux. Au cas où vous ne l’aviez pas compris, les œufs de plomb, autant que les œufs d’or et les œufs d’ovipares ordinaires, contiennent l’habituel mélange à bébé. Vous ne croyiez pas qu’ils étaient pleins, tout de même ? Quel processus pénible ce serait pour la pauvre poule, de générer autant de matière brute. Non, soyons réalistes, c’était seulement la coquille qui était en métal.

Il fit goûter ses œufs à des critiques culinaires, qui ne s’en pouvaient plus de leur goût magique, mais il se refusa à les vendre. Depuis sa jeune enfance, il avait été nourri de rêves et de légendes. Il voulait en devenir lui-même une, pas un vulgaire homme d’affaires ou une de ces célébrités du jour. Non, foi de Richard Richardson, il donnerait à la population. Chacun aurait son œuf. Il entrerait à l’Histoire. Il organisa donc un immense banquet, où tous les villageois étaient invités, et prépara une omelette géante, aussi grande que lui permettaient ses récoltes d’œufs. Les villageois mangèrent et dansèrent jusqu’aux petites heures du matin, ivres de joie, mais aussi d’alcool, remerciant Richard, qui était extatique. La gloire lui souriait enfin. L’Histoire se rappellerait de lui.

Entre nous, Richard Richardson est plus connu sous le nom d’« empoisonneur de Saint-Tite », mais sa contribution à l’Histoire ne s’en trouve pas amoindrie.


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