L'invasion des intraterrestres

Olivier Breuleux
le 2 avril 2017

Ils nageaient dans la terre comme le requin dans l'eau, ils planaient entre les strates géologiques avec la vitesse et l'agilité du faucon fendant les cieux. Leur savoir était vaste, leur intelligence indubitable. Nous ignorions tout de leur existence. Jusqu'au moment où ils émergèrent du sol pour réclamer leur dû.

Rien ne nous avait préparés à ce moment. L'invasion venue du sol devait être celle des zombies et des morts-vivants venus des cimetières et des jardins des meurtriers en série (qui, à leur défense, faisaient pousser les plus beaux bégonias du monde, et personne n'a jamais su percer leurs secrets). Or, lorsque les intraterrestres éclatèrent au grand jour, lorsque sortirent de terre les vers géants qu'avait pressentis Frank Herbert, ce fut partout à la fois. Ils émergèrent des cimetières avec squelettes et bouquets dans la gueule, ils sortirent des déserts africains engorgés de sable chaud, dans les tunnels des métros ils gobaient des wagons entiers. Ils vinrent même des profondeurs des océans. Nul n'était à l'abri, pas même ceux qui croyaient s'être préparés à tout.

Le roi des vers géants s'appelait Martin – du moins c'était le nom le plus proche de la séquence de gargouillis infernaux par laquelle il se représentait (ou elle – personne ne sait dire la différence, ou si les vers géants ont même un sexe). Martin sortit de terre à l'emplacement de la tour CN. Il était en circonférence dix fois plus large qu'elle, et cent fois plus long. Martin engloutit la tour en un instant et sa silhouette domina le continent. « Ce monde m'appartient ! » gargouilla-t-il d'une voix si forte qu'elle assourdit l'humanité entière, du Canada jusqu'à la Chine.

Nous nous sommes depuis retirés là où les vers habitaient jadis, dans les immenses tunnels que leur passage laissa. Des torrents de pluie y ont coulé, les transformant en lacs de boue à travers lesquels nous commençâmes à nager avant d'être finalement scellés sous terre. Nous évoluons, nous nous transformons pour nous adapter à cette nouvelle condition. Nous nageons et planons dans la terre, oubliés. Mais un jour, nous remonterons à la surface, immenses et terribles tels les vers géants, forgés dans le même feu qu'ils avaient maintenant abandonné… et nous nous vengerons.


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