Je vous hais

Sophie Breuleux
le 3 décembre 2016

Vous êtes entré dans ma vie comme on entre dans un moulin : très facilement et de manière inattendue, car les moulins sont rares et que plus personne n’y entre. Vous avez acheté la maison adjacente à la mienne, impunément, comme si tout individu se devrait d’être heureux de vous compter comme voisin. Puis vous me saluez chaque matin. Et vous attendez une réponse ! Mais monsieur, je n’ai qu’une chose à vous dire.

Je vous hais.

Je n’avais jamais haï quelqu’un avant de vous rencontrer. Votre personnalité me répugne. Votre parfum m’enrage. Ce que vous dites est peut-être sensé, je ne sais pas, je n’arrive pas à entendre un mot de ce que vous dites par dessus le bruit de mon sang qui bouillonne.

Vous êtes le cheveu sur la soupe. Vous êtes la pluie avant le beau temps. Vous êtes le sundae sous la cerise, lorsqu’on n’a plus faim pour le dessert.

Vous êtes le Midas de la médiocrité : tout ce que vous touchez se transforme en déchet, et je vous souhaite de vous toucher à répétition.

J’achetai un chien pour qu’il chie sur votre perron, seulement il s’avère que d’entraîner son chien prend du temps, et maintenant je déteste mon propre animal, et c’est là toute votre œuvre. Ma femme me dit que je suis obsédé. Elle menace de me quitter, et c’est de votre faute.

Comment ? Pourquoi je vous déteste ? Je ne sais pas, et un sentiment aussi puissant ne peut être expliqué que par sa plus grande pureté. Une haine justifiée n’égalera jamais la haine que vous m’inspirez : celle-ci se justifie d’elle-même. Ma haine pour vous atteint le paroxysme : un peu plus et je vous aimerai à la folie.

C’est pourquoi je vous propose, monsieur : disparaissez. Fondez-vous dans la nature. Fondez-vous dans une marmite, fondez-vous dans une benne à ordures, fondez-vous dans la grotte de Lascaux, mais fondez.

Je ne m’en porterai que mieux.


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