La vengeance du marchand de fruits

Sophie Breuleux
le 2 octobre 2016

La radio annonce la nouvelle : un criminel vient de s’échapper de la prison à sécurité maximale pour Espions, Supervillains et Innocents Faussement Accusés. Je caquette de rire. Je suis vendeur de fruits. Dans un beau petit stand. J’suis pas idiot, je la connais la suite. Mon client me regarde un peu drôlement, mais de quel droit il me juge, il vient d’acheter une douzaine de melons d’eau.

Je suis pas fou, moi, j’en ai vu des films d’action. S’il y a bien une place où le petit comique de fugitif va aller s’écraser, c’est ici. Mais il ne verra jamais venir ce qui va lui tomber dessus. Parce que je savais, moi, que ça allait arriver. Mes voisins, ils se moquaient de moi, mais mon travail porte enfin fruit. Car voyez-vous, mon stand, sous la nappe et les beaux petits fruits, il est en béton.

Mais mon plan, il va beaucoup plus loin que le plaisir de voir le fugitif s’écraser dans les trois tonnes de béton de mon stand. Non non. Je veux établir un précédent. Envoyer un message à quiconque croit qu’on peut détruire la propriété d’autrui juste parce que « ma vie est en danger ». Si votre vie est en danger, vous pouvez très bien vous diriger vers une rue déserte, d’accord ?

Ils approchent, je les entends déjà. Les sirènes et le vrombissement d’une moto volée. Plus que quelques secondes, et le voilà, avec ses cheveux ébouriffés et son regard déterminé. Ugh. Typique. Le protagoniste. Je me cache sous mon stand en vitesse, juste à temps pour entendre la moto s’écraser sur le béton et le cri sourd du passager qui vole à plus de 20 pieds. De la musique à mes oreilles. Je sors de ma cachette pour voir le résultat de mes yeux, et je vois que le jeune homme a volé jusque dans la fontaine. Ses membres sont tordus d’une manière pas tout à fait naturelle, la tête dans une mare de sang. Ses cheveux sont foutus. Fallait mettre un casque, eh. Ça défait la coiffure, mais au moins on n'en meurt pas.

La police s’arrête devant mon stand, sortant de leur voiture pistolet en main, et moi je sors mon Kalashnikov. Parce que vous voyez, c’est une chose qu’un fugitif détruise mes pommes et mes oranges, mais la police, elle devrait être là pour nous protéger, non ? Ils devraient prendre soin des pauvres commerçants comme moi. Mais non, ils sortent de leurs voitures et ils tirent sur mes melons.

Alors je leur tire dessus, parce qu’ils n’apprendront jamais sinon : on ne déconne pas avec les stands de fruits. Jamais. Prenez bien note, Hollywood.


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