Gonzo le clown

Sophie Breuleux
le 16 octobre 2016

Les vêtements de Gonzo s’étaient déchirés il y a de cela des années, mais étrangement, il n’a pas froid. Il passe à travers les denses forêts québécoises à pas de souris, tant il a peur de s'enfoncer dans la neige. Ça lui avait pris près de trois jours pour en sortir, la dernière fois qu’il était tombé trop profond dans la neige.

Puis il y avait eu la fois où un chien, près d’un village, l’avait attrapé et traîné jusqu’à sa niche, et l’avait rendu encore plus laid qu’il ne l’était déjà. Sa maîtresse l’avait eu à Noël quand il n’était qu’un petit clown en salopette, avec des cheveux arc-en-ciel et des gros souliers cirés qui faisaient couic couic quand on pesait dessus. Il la reverrait sûrement un jour, même s'il était tout déchiré. Il le fallait. L’espoir de revoir sa petite maîtresse lui permettait d’endurer les embûches que la vie lui faisait vivre sans se plaindre. Il avait traversé l’enfer, ou du moins la notion qu’un clown en peluche se fait de l’enfer, pour en arriver ici.

Puis enfin, au bout d’une longue marche de plus d’un millier de kilomètres, il se retrouve face à face avec la maison de la petite fille. Là où il avait ouvert ses yeux rouges pour la première fois, juste avant d’être amené au chalet où on l'avait oublié. Il s’infiltre dans la maison par la chatière, et se dirige vers sa chambre.

Couic couic couic couic.

Il entre doucement, et se dirige vers le lit.

Couic couic couic couic.

C’est bien la petite fille, à peine plus grande que dans ses souvenirs ! Gonzo se glisse sous les couvertures pour dormir avec elle. Elle va se réveiller, et être bien heureuse de voir qu’il l’a retrouvée ! Mais au matin, lorsqu’elle ouvre les yeux, elle crie de toutes ses forces, et le lance à bout de bras. Il ne comprend pas pourquoi.

Ses parents le prennent et le jette dans un sac de poubelles. C’est difficile, mais Gonzo réussit à s’en libérer. Pourquoi la petite fille n’est-elle pas heureuse de le voir ? Il décide d’essayer une nouvelle technique. Il pousse une boîte multicolore sous le grand sapin, et puis il va se cacher dedans. Plus tard, elle ouvrira la boîte et se rappellera de lui, et ce sera exactement comme la première fois. Mais lorsqu’elle ouvre la boîte, Gonzo voit bien qu’elle est terrifiée. Mais de quoi a-t-elle donc peur ? Alors Gonzo se met à rire, du rire en canne qu’il soutire à ses vieilles batteries. Ha ! Ha ! Ha ! Hi ! Hi ! Hi ! Ho ! Ho ! Ho ! Ça n’aide pas beaucoup. La petite fille le lance dans le feu de foyer.

Mais c’est une petite fille de huit ans, elle n’a pas beaucoup de visou. Alors Gonzo se relève et se met à sa poursuite.

Couic couic couic couic.

« Laisse moi t’aimer, petite fille ! » désespère Gonzo.

Couic couic couic couic.

Il se traîne vers elle, car sa jambe a été endommagée dans sa chute.

Couic couic couic couic.

Ses parents surgissent de nulle part et l’attaquent injustement. Ils crient, lui jettent des coups, et ils enferment le pauvre Gonzo dans un autre sac de poubelle. Fermé, cette fois. Il entend le camion approcher. Bientôt, il sera à nouveau loin de sa petite fille chérie. Mais il les retrouvera. Il les retrouve toujours.


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